Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/11/2010

L'Attente

Elle se promène le nez en l’air. Il fait beau, elle sourit au ciel, la bonne humeur se lit sur son visage. Le pas vif, elle semble presser de rejoindre quelqu’un ou quelque chose. Elle s’arrête soudain, et revient sur ses pas. Elle semble se rappeler quelque chose, un oubli à réparer.

La jeune femme se retrouve devant la vitrine d’un fleuriste. A peine rentrée, elle balaie du regard la boutique.

Le vendeur s’avance vers elle, prêt à lui proposer ses services. Elle l’arrête d’un mot : « Des pivoines ! Vous n’avez pas de pivoines ? »

« Pas encore mademoiselle, mais je peux vous proposer autre chose, si vous voulez bien jeter un œil avec moi ? »

Coupant court à l’enthousiasme du fleuriste, la jeune femme désigne du doigt une variété de roses blanches, touffues, presque mousseuses. Le vendeur la félicite de son choix et continue son bavardage tandis qu’il prépare les fleurs.

Une fois le bouquet de roses prêt, la jeune femme s’éclipse, plus pressée que jamais.

Elle accélère le pas à nouveau, le bouquet serré contre son cœur.

Arrivée chez elle, elle commence par déployer le bouquet dans un immense vase de cristal.

Chacun de ses gestes révèle une drôle de hâte…

La jeune femme, appelons-là Louise, murmure une chanson ; le geste sûr, elle arrange les fleurs, puis se recule pour admirer le résultat.

« Parfait, la suite maintenant. »

La suite, c’est la table du salon qui attend d’être mise. Toujours aussi rapide, mais sans gestes brusques, Louise compose une table qu’elle a imaginé si longtemps. Si longtemps qu’elle attend cette première soirée avec lui. Une drôle de relation, un peu surannée. Lui, qui s’est fait charmant acteur d’une cour à l’ancienne, elle qui s’est mis à adorer sa délicatesse, sa patience, sa volonté de bien faire, pour atteindre à une certaine perfection.

Gabriel… Même son prénom chantait à son oreille…

La cuisine sentait bon, tout était prêt : uniquement des plats simples, frais, légers. Ouvrant le frigidaire, elle en sortit une papaye. Elle ne savait pas choisir ce genre de fruits, alors elle avait demandé aux marchand de bien vouloir l’aider. C’était amusant pour elle de le voir renifler les fruits un par un, les palper, les soupeser, avant de choisir le fruit ultime, qui saurait satisfaire son convive du soir. La papaye irait rejoindre d’autres fruits moins exotiques, pour une salade qu’elle espérait délicieuse, même s’il s’agissait d’un dessert plutôt simple.

Mais après tout, il était bien question de simplicité et d’évidence pour cette soirée. Non pas que la rencontre avec Gabriel soit une chose informelle, mais Louise ne voulait pas sembler trop romantique, ni trop détachée. Un équilibre fragile… Cette soirée c’est juste le petit point d’ancrage parfait qu’il fallait pour poursuivre leur vie à tous deux.

La suite encore, c’était une robe qui l’attendait sur son lit. La robe parfaite. Ecrue, simple mais bien coupée.

« Oh ma pauvre, que tu trembles…ce n’est rien pourtant, rien que la suite logique, tout ira bien. » Elle cherchait à se rassurer, mais assise devant son miroir, pour se maquiller un peu, elle tremblait encore.

« Tu trembles, ma pauvre, comme si tu avais seize ans, tu trembles pour un homme que tu connais pourtant déjà si bien… » En se regardant dans ce miroir, Louise ne voyait plus rien qu’une sorte d’anamorphose. Son regard troublé était comme un appareil photographique qui n’arrivait plus à faire une mise au point correcte. Il était temps de se calmer. Louise se ressaisit, fixa son regard dans le miroir, avant de terminer, tant bien que mal, le léger maquillage de ses yeux.

Tout à sa hâte d’en finir avec les préparatifs de sa soirée, Louise buta sur un catalogue de jouets, tombé de la corbeille du bureau certainement. Elle le ramassa, en même temps que la sonnerie de l’entrée retentit.

Voilà, c’est lui.

Il se fit comme une étincelle dans son cœur. Le voir, enfin, après si longtemps.

Les deux amoureux se firent face, presque gênés. Gênés parce qu’ils savaient ce qu’ils étaient l’un pour l’autre : tout, absolument tout, l’essentiel et plus encore. De manière incongrue, ils se tendirent la main. Gabriel prit la main de Louise, et la garda ainsi dans la sienne ; il était impossible pour les deux de faire quelque autre geste pour l’instant.

« Bonsoir » Un seul mot échangé, mais il contenait tout un avenir encore à formuler. Louise n’arrivait pas à parler : il lui semblait impossible de rompre ce silence enchanteur, qui les enveloppait, comme une protection divine. Il faudrait bien parler pourtant… Une image curieuse lui vint à l’esprit : elle se dit qu’il manquait au moment comme un code, une sorte de captcha connu  de eux-seuls, qu’il suffirait de prononcer, pour que la suite se déroule, fluide et évidente.

Un mot, juste un seul. Gabriel tenait toujours fermement la main de Louise. Il ramena celle-ci vers lui, dans un geste sûr et tendre à la fois. Une musique se faisait entendre du salon, un air de Tchaïkovski qu’elle aimait particulièrement.

Gabriel tenait Louise contre son épaule, lui murmurant juste à l’oreille les mots qu’elle crevait presque d’entendre enfin de lui. Des mots qui venaient calmer la fatrasie habituelle de son cerveau.

Doucement, il la serrait toujours, leurs corps dansant à peine une chorégraphie esquissée.

Tout se passera bien.

 

Ceci est ma participation au jeu d'écriture de Livvy.

Mots à placer : romantique, bouquet de roses, cœur, catalogue de jouets, chorégraphie, informelle, papaye, fatrasie, renifler, frigidaire, captcha, anamorphose, étincelle.

hist.jpg


00:05 Écrit par Océane dans Jeux d'écriture | Lien permanent | Commentaires (15) | |  Facebook |

24/05/2010

Herbe de bison et péroraison #2

audrey.jpg

 

« Vous m'emmenez où ? »


La voix du jeune homme n'était que lassitude, mais au moins il avait quitté sa chaise.


« Je ne sais pas encore.» La jeune femme, elle, gardait son ton insouciant, presque mutin.


-Et votre prénom, c'est quoi ? On se parle depuis un moment...

-Marine, comme le pull, au fond de la piscine.

-Et moi c'est Erwan.

-Je ne vous demandais pas votre prénom, ce n'est pas essentiel pour l'instant. Je ne vous connais pas après tout.

-Justement, c'est pour ça, enfin on se présente quoi, non ?

-Parce que votre prénom dit tout de vous ?

-Non, bien sûr. Mais c'est encore un truc dont je suis certain, mon prénom.


Marine gardait toujours ce sourire narquois, comme si elle se moquait de tout, de lui plaire, de le peiner. Erwan la détaillait, maintenant qu'ils étaient tout deux debout dans l'embrasure de la porte.

Elle portait une robe noire, assez collante, qui laissait deviner son corps. Une robe d'une sobriété aussi impeccable que sa coupe, en tout cas à ce qu'il y connaissait.

L'ensemble serait un peu sombre, sans cette paire d'escarpins couleur doré.


Marine intercepta son regard :


-Ce sont mes chaussures que vous regardez comme ça ? La couleur c'est champagne.

On va se promener alors ?


Erwan l'aida à remettre sa veste, et tout deux se dirigèrent vers la porte. Il continuait de la détailler. Une jeune femme brune, la trentaine peut-être. Ses escarpins claquaient contre le sol du bar.


« Vous venez, Erwan ? » toujours ce ton légèrement moqueur, amusé.


Dehors, l'air était tiède, une fin d'après-midi estivale, douce. Qui pourrait être douce s'il n'y manquait Marie.

Marine, Marie. Des prénoms proches, mais pour le reste, elles semblaient différentes.

Non. Si. Peut-être qu'au début Marine avait cette légèreté dans la voix, cette insouciance qui est toujours séduisante. L'insouciance s'était muée en indifférence.


Ils marchèrent quelques mètres dans la rue.


« Pourquoi m'avoir abordé ? » Erwan posait cette question pour la forme, histoire de ne pas laisser un silence gênant s'installer. Mais pas de gêne avec Marine : elle semblait aussi à l'aise que s'il s'agissait de se promener avec un vieux copain.


-Disons que vous m'avez intrigué, à commander ces verres sans les boire. A rester presque immobile, l'air grave et triste. Et puis c'est une mauvaise habitude que j'ai, de vouloir secourir mon prochain, de m'intéresser à ce qui lui arrive.

-Pourquoi serait-ce une mauvaise habitude ?

-Parce qu'on finit toujours par en vouloir à celui qui nous a secouru, c'est dans l'ordre des choses.

-Je ne pourrais pas vous en vouloir...

-Attendez donc que je vous aide, avant de dire des bêtises. Et vous en dites des bêtises.

-Des bêtises ?

-Oui. D'abord qualifier Julien Clerc de bellâtre me donnerait presque envie de tourner les talons et de vous laisser vous débrouiller, mais je suis d'humeur compatissante aujourd'hui, vous avez de la chance. Et puis je n'ose imaginer les bêtises qui passent par votre tête au sujet de vous, Marie, de cet amour qui se termine. Je suis certaine qu'il y aurait de quoi ravir les scénaristes de « Feux de l'Amour ». La pire des bêtises c'est de se croire unique. Une autre encore est de penser que nos sentiments sont indépendants de nous. Vous voyez donc qu'en terme de bêtise, vous êtes assez fort.Et une autre bêtise encore : vous pensez que je vous drague, et qu'on finira par coucher ensemble.


Erwan se prit à rougir et se mit à bafouiller : « non, pas du tout, je.. »


-C'est mignon de rougir. Probable qu'on couche ensemble. Tout est fonction de l'humeur, des mots. Il faut oublier les bêtises et se concentrer sur les mots. Et puis c'est vrai que vous êtes beau, même non-rougissant.


Elle partit d'un éclat de rire, et lui prit la main.


-Venez, on va s'asseoir, là, sur ce banc. Un peu de lecture encore ? Bon, on va dire que vous n'avez pas le choix, d'accord ?

-Oui.


Erwan n'aimait pas l'inattendu en général, mais après tout, planifier sa vie avec Marie l'avait conduit à un mur.


Marine reprit son recueil, et tourna les pages avec concentration, avant de déclarer d'un air triomphant : « Voilà !»


Erwan s'assit près d'elle.


-Alors, nous allons voir ce que Walter Scott pense de votre situation :


L'Amour véritable est le don que

Sous tout le firmament

Dieu n'a fait qu'à l'homme

Ce n'est pas le feu ardent de la fantaisie

Dont les souhaits, aussitôt exaucés, s'envolent.

Il ne vit pas dans le désir brûlant

Ni ne meurt avec lui.

C'est une sympathie secrète,

Un maillon d'argent, un lien soyeux

Qui dans l'âme et le corps

Peut unir à jamais les cœurs et les esprits.



True Love's the gift wich God has given

To man alone beneath the heaven:

It is not fantasy's hot fire,

Whose wishes soon as granted fly;

It liveth not in fierce desire,

With dead desire it doth not die;

It is the secret sympathy

The silver link, the silken tie,

Wich heart to heart, and mind to mind,

In body, and in soul can bind


"Quel rapport avec moi ? » La question fusa aussitôt le poème lu.


- Le rapport ? Il est évident. Vous pleurez sur votre amour depuis un moment, et vous ne vous posez pas la question de la nature de cet amour ? Non, ça ne vous intéresse pas ?Je ne connais pas votre histoire ni cette Marie si précieuse. Mais je sais que vous n'arrivez pas à lui parler, et elle, n'a rien à vous dire. Où voyez-vous un quelconque lien spécial, une quelconque sympathie secrète ? »

-On s'entendait bien au début...

-Oh, s'entendre bien, cher Erwan, c'est facile, tant que la situation le permet, que rien ne vient vous mettre à l'épreuve, s'entendre bien est facile. Vous vous entendez bien avec votre boulangère, je suis sûre, ou vos collègues de travail... Ou même avec moi.Et puis, pourquoi êtes-vous si triste ? L'amour n'est pas une chose triste. Il ne le devrait pas en tout cas.

-Vous feriez quoi ?

-Moi ? J'irais dîner avec un charmant jeune homme, parce que j'ai faim !


Marine se leva brusquement et lui prit la main, l'entraina avec elle :

« Allons manger quelque part, et puis si vous êtes sage, cher Erwan, nous irons lire quelques pages chez moi ! Oh mon Dieu je me fais l'effet d'un pervers polymorphe qui propose à une innocente victime d'aller voir ces estampes japonaises ! Promis je ne vous ferais pas de numéro de charme entre la poire et le fromage ! Et puis, vous ne céderiez pas, vous êtes tellement amoureux, n'est-ce-pas ? »


Elle semblait ravie de sa petite sortie et riait encore et encore.


Erwan commençait à apprécier la situation, malgré sa bizarrerie. Marine était à la fois simple, désarmante et étrange aussi.

Elle avait quelque chose d'attirant, en dehors de son physique bien sûr.

Après tout, que craignait-il ? Au mieux, il passerait une agréable soirée avec une agréable jeune femme, au pire il finirait par coucher avec elle. Au pire... Pourquoi au pire ?

Il se lança : « allons maintenant chez vous, je cuisinerai, ça me changera les idées, et vous me montrerez vos estampes, enfin vos bouquins ou ce que vous voulez. »


Marine lui souriait, l'air toujours aussi amusé : « je vous préviens, un homme qui cuisine pour moi, je trouve ça très très attirant ! »


Erwan esquissa enfin un sourire : « j'ai pas peur : on y va ? »

 

22:52 Écrit par Océane dans Nouvelle | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook |

20/05/2010

Herbe de bison et péroraison

AUDREY3.png

 

La sortie du cadre habituel promettait une certaine incongruité, mais l'inconnu réveille toujours une curiosité qu'on cache en soi.

Elle regarda le jeune homme de sous ses lunettes, d'un regard interrogatif, mais amusé surtout. Cette façon qu'il avait de commander son verre au bar, en balançant juste un billet, et quelques mots secs : vodka sans glace.

Elle se leva et avança vers lui : la curiosité encore, l'audace malgré la timidité.

- Bonjour. Ça ne va pas ?

Le jeune homme ne leva qu'à peine le nez de son verre. Il n'était pas ivre, non, mais plutôt l'air accablé.

Devant lui s'alignaient 3 verres de vodka intacts. Tiens, intéressant se dit-elle.

Elle réitéra son bonjour. Le jeune homme finit par la regarder, toujours sans parler.

Elle s'installa près de lui, et demanda au barman une vodka, mais précisa-t-elle d'une voix particulièrement mutine, avec un trait de violette et un peu de bonne humeur.

- Alors, ça ne va toujours pas ? Pourquoi rester ici à commander des verres pour ne pas les boire ? Je vous préviens, je suis assez timide en règle générale, et bavarde forcément. Il faut bien que je cache ma gêne. Je suis embêtée, je vous regarde depuis tout à l'heure, vous me faites de la peine, pas à cause de l'alcool hein, non je ne suis pas là pour ce gâchis, encore que. Mais non, ça y  est je m'embrouille, je digresse. Bon, vous me sortez de mon ornière là, ou je continue à m'enfoncer et à raconter des conneries ? Parce que ça peut durer longtemps encore. D'autant que plus je suis gênée et plus je parle. Et puis la vodka sans glace c'est très bien, il faut être un sagouin pour la tuer avec des glaçons.

- Continuez.

La voix du jeune homme était étrangement douce, plus que ne le laissait présager sa façon de s'adresser au barman.

Elle ne laissa pas apparaître sa surprise.

- Je continue sur la vodka ou sur votre peine ? Il y a beaucoup à dire sur les deux...

- La vodka.

- Ah ah !!  Vous voyez déjà que je m'y connais ! Vous avez raison. A la fac j'avais théorisé quelques vérités sur la vodka, mais bon, ça n'intéressait que moi je crois. Je n'aime pas l'alcool, sauf la vodka. Et puis je n'en bois pas souvent. Mais j'aime l'idée de la vodka. C'est comme un élixir magique, qui ne doit servir que très peu. Il parait que ça n'a pas de gout, mais ça c'est un avis de philistins bourrins élevés à la bière. La vodka, il faut la choisir soigneusement, mettre son verre au frais, et jamais la bouteille même ô sacrilège ! Verser le liquide dans le verre bien froid et boire doucement. C'est là que le feu te réchauffera le corps, puis le cœur. C'est la boisson du chagrin et de la joie, et  elle me donne du courage, même sans en boire vraiment, juste à l'idée que je pourrais tiens pourquoi pas.

- Je ne bois pas. Je n'arrive pas. Je regarde ces verres, je sais pourquoi je voudrais les boire, mais je n'y arrive pas.

Le ton du jeune homme était monocorde, non pas triste, mais posé et doux.

- Boire n'est pas essentiel, même dans un bar. C'est un prétexte social comme un autre. Tenir le verre, avoir l'air inspiré par les propos de votre interlocuteur, ça suffit. Tiens regardez moi. On dirait bien que je vous écoute, non ? Alors dites moi, pourquoi voulez-vous boire, racontez-moi. Elle est partie ?

- Non.

- Il est partie alors ?

- Non. Elle est encore là, mais elle va partir. Elle me l'a dit. C'est terminé, pour la 20ième fois, mais pour de bon. Peut-être. Non, oui  c'est fini. Elle est comme un mur sur lequel je glisse sans pouvoir m'accrocher. Elle ne m'aime plus. C'est pire elle ne ressent rien face à moi. Juste l'envie de passer à autre chose. Je ne peux pas lui parler, c'est un mur, et les mots de toute façon ne sorte pas de ma bouche.

- Mais vous les dites ces mots là.  Je les écoute, et puis ils ne sont pas perdus, ils voyageront jusqu'à elle. Les mots servent toujours à quelque chose.

- Elle va partir, et je n'arrive même pas à lui parler.


La jeune femme fit signe au barman: « deux Perriers »

- ça ne vous fera pas de mal.

- L'eau gazeuse ??

- Non, l'eau c'est pour moi, j'en ai besoin, je vais vous faire la lecture.

- Pardon ?

- Oui, j'ai un bouquin très sympa là, des recueils de poèmes, oui bon ne vous moquez pas, c'est joli à lire et ça fait travailler ma diction et ma mémoire.

- Pourquoi, vous êtes actrice ?

- Non, enfin si on ne compte pas la vie, non je ne suis pas actrice. Il faut obligatoirement être actrice pour avoir envie d'une belle diction et d'une mémoire qui ne flanche pas ? Au lieu de dire des bêtises, écoutez, c'est de Marceline Desbordes-Valmore :

N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon cœur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas !

N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.

Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas !

N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;

Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !

N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :

Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas !

Le jeune homme restait pensif, avant de lâcher un petit rire sec :

- Oui, c'est la chanson de l'autre bellâtre là, c'est quoi son nom ?

- Julien Clerc, et ce n'est pas un bellâtre. Et puis ce poème existait avant. Vous avez écouté au moins ? C'est déprimant, non ?

- Heuu oui, et j'avoue que là ce n'est pas exactement ce qu'il me faut.

- Ah mais si, que si. Ce ne sont que des mots toujours. Ceux du poème, ceux que vous n'arrivez plus à dire à votre... comment s'appelle-t-elle d'ailleurs ?

- Marie.

-....à Marie donc. Vous n'inventez rien. Vous donnez un tour intéressant à votre séparation, en alignant les vodkas sans les boire, en paraphrasant sur ce mur lisse qu'elle est pour vous. Mais ce ne sont que des mots. Vous pouvez décider d'ouvrir un autre livre, de lire autre chose et puis choisir des mots plus gais.

- C'est simple, oui je suis con, j'invente ma peine.

- Ne prenez pas ce ton cynique. Venez. Enfin buvez d'abord une de ces malheureuses vodka, et puis venez, on va se promener, je vous expliquerai.


Le jeune homme la regarda, presque en souriant. Il souleva un des verres, la regarda encore, avala le liquide clair, fit pareil avec le deuxième, toujours en l'observant. Sa main tenta de s'emparer du troisième verre, mais pas assez vite, la jeune femme avait déjà fait main basse dessus.


- On va essayer de garder un esprit frais et dispo, d'accord, et puis comme ça, le nectar du bison me donnera un peu de courage. Je vous ai dit que j'étais très timide.

Son sourire ne le laissait pas du tout supposer.

Elle tendit la main au jeune homme : « vous venez ? »

Il se leva, pris sa main, intrigué et fatigué de se lamenter en silence.

 

07:56 Écrit par Océane dans Nouvelle | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook |

08/04/2010

Au réveil

sleep.jpg

 

Tu vas te réveiller d'un instant à l'autre, en attendant je te regarde dormir.

J'aime ces matins dès avant l'aube. Je peux t'observer sans que tu le saches, ou alors tu n'en montre rien.

Je me pose toujours la question de ton mystère. Qui es-tu ? Tu ne me le dit pas. Je connais ton nom, ton prénom, ton adresse, je dors presque chaque soir auprès de toi. Nous parlons de tout, de rien, d'art de philosophie et de chansons sucrées. Tu te moques de mon goût pour les mièvreries, pour les objets délicats et fragiles. Tu t'amuses d'un rien, de mes gestes maladroits ou d'une bouderie passagère. Mais je ne sais rien de toi, tellement tu es transparent : est-ce possible qu'un homme ne soit que ce qu'il dit être ?

Je te regarde dormir et j'essaie de deviner tes pensées, tes envies.

Tu semble parfois perdu dans un gouffre sans fond, mais toujours un sourire narquois vers moi. Je te sauve dis-tu. Mais de quoi ?

Tu ne dis jamais rien de grave ; n'y avait rien avant nous qu'une vie simple et compliquée, la vie. Et tu t'amuses d'un rien, de me voir trébucher sur une allitération à la lecture, de mes envies sans cesse changeante. Tu t'amuses de ce que je t'épuise.

Cela te sauve me dis-tu, mais de quoi ?

J'aime faire l'enfant avec toi, te chercher noise pour voir ce qui te peine et te chagrine, car je ne sais rien de toi. Mais jamais tu ne te découvres, au contraire, tu nous enveloppes d'un immense manteau d'indulgence, et tu pardonnes, tu ne veux voir que le bon chez moi, quand je cherche indéfiniment ce qu'il y aurait de sombre en toi.

Pourquoi ne pas se satisfaire de cette tranquillité, de ces amusements et de l'attraction fatale qui nous lie ? Je te veux tout à moi tu dis que tu l'es que tu es une faible proie entre mes mains, pourtant je sens cette cage encore qui te protège, mais de quoi ? Tu ne le dis jamais.

Je te regarde dormir et j'ai peur de n'être qu'une diversion à ta vie profonde. Une diversion aimée, choyée, peut-être même pour le reste de ma vie, mais une diversion.

Je te regarde et je t'aime parce que tu ne me dis pas tout. Je t'aime pour ce mystère qui n'en n'est peut-être pas un.

Qui sait ?

 

06:05 Écrit par Océane dans Récit | Lien permanent | Commentaires (3) | |  Facebook |

22/03/2010

Qu'aurais-je pu faire ?

che.jpg

 

Elle relève ses cheveux, dans un geste habituel. Lui s'en va sans un mot. La nuit passée n'avait servi qu'à clore un chapitre.

Parler des heures était le seul acte qui les rapprochait encore. Ils avaient un besoin pressant l'un de l'autre, mais une muraille fine, si fine, les séparait pourtant.

Appeler cela de l'orgueil, ou de la bêtise, peu importait maintenant. Se cabrer à chaque mot non consentis, se draper dans une volonté que rien ni personne n'offensait, tour cela usait et finissait par émousser la meilleure des patiences.

Les vagues de disputes laissaient la place à la plus grande affection et au désir. Mais ce petit jeu (indépendant de leur volonté ?) n'assurait aucune tranquillité d'esprit. Elle, voyait dans chacune de ses remarques comme un jugement, une critique, un début de bataille à gagner. Lui, sentait qu'elle n'était qu'insoumission et révolte, il la voulait docilement amoureuse, naïvement admirative ; mais pourtant c'était bien cette insoumission désordonnée qu'il aimait par-dessus tout. Après tout la gloire est plus grande à soumettre un animal sauvage qu'une innocente biche...

Mais à l'enthousiasme succédait la peur. La tranquillité n'était jamais invitée entre eux. Comment dès lors se laisser aller à relâcher la surveillance l'un de l'autre. Prisonnier chacun de leur orgueil et de leur désir, l'épuisement les guettait. Bien sûr il arrivait parfois que la tendresse gagne le jeu, et ils se sentaient lors en confiance, indispensable l'un à l'autre, amoureux presque. La simplicité et la transparence qui manquaient à leur relation trouvaient à se glisser incidemment, apportant ainsi un repos à ces cœurs  trop fiers.

Mais cela ne durait pas. C'était un combat incessant. Elle voulait avoir raison, il voulait avoir le dessus. Se jeter l'un sur l'autre pour clore un débat sans fin était un jeu qui finissait par perdre de son intérêt. Autre chose occupait leur esprit. Elle savait ce qui la menaçait : l'amour tranquille, la présence de l'autre devenue nécessaire, son rire qui lui perçait le cœur, son indifférence parfois qui lui déchirait les entrailles. Elle reconnaissait tout cela. Elle se voyait petite fille, relisant sans cesse Gigi le roman de Colette. Elle se voyait dans la même impasse. Elle ne supportait plus qu'il lui parle de sa vie ailleurs, mais elle avait peur de trop lui demander et de le perdre ensuite. Elle aimait cette éternelle dispute amoureuse qui les liait par la même peur de ne plus s'appartenir totalement.

Lui, il voyait bien qu'il s'opérait un changement en elle. Mais il ne pouvait l'aider : la même crainte le paralysait. La tranquille quiétude de l'amour partagé avec elle l'angoissait. Cette alchimie qu'ils connaissaient, la retrouveront-ils avec la paix toute simple du couple ?

Ni l'un ni l'autre ne savaient. Mais parler les rassurait. Il y avait comme une panique sourde qui s'emparait d'eux : l'idée de baisser la garde définitivement, de se laisser sans autre arme que leur envie l'un de l'autre. Quelle drôle de crainte pour deux cœurs qui s'aiment se disait-il. Mais aimer c'est abdiquer son bonheur, le remettre entre les mains du hasard.

Allaient-ils l'un et l'autre jouer avec le hasard ?

 

01:14 Écrit par Océane dans Récit | Lien permanent | Commentaires (4) | |  Facebook |