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02/09/2011

Hors cadre

Avancer sur la scène. Saluer. Relever la tête et voir la foule, debout, applaudir. Enfin.

Enfin le moment était venu. Je n’avais plus qu’à me perdre dans la contemplation de cette salle, bruyante, et toute acquise à ma cause. Oui ma cause. Ce spectacle, c’est la création de ma vie,  le souvenir que je voudrais laisser. Ce n’était plus une question de passion, ou d’orgueil, mais simplement le but ultime de ma vie, au-delà de ma carrière d’actrice.  Mettre en scène les moments de cette vie les moins propices à la joie, réécrire des dialogues vécus dans la violence et le doute… Tout cela n’a pas été vain.

Je l’entends déjà me dire que je suis folle. La salle est encore debout, les bravos fusent, et il me vole presque ce moment… J’anticipe le combat que sera notre conversation. Je sais que la confrontation ne sera pas simple.

Je me retire de la scène, le rideau tombe à nouveau, pour se relever encore, et donner à voir, à la foule  sa reine d’un soir…

Sortir de la scène est presque insupportable. Mon partenaire regagne sa loge, moi la mienne, et je suis au bord de l’asphyxie.  Comme prévu, il est là, à m’attendre.

D’un geste ostentatoire, il me désigne un siège, dans ma propre loge.  Il est exagérément aimable et souriant. Il n’y a plus ce voile de folie qui obscurcissait son regard.  Mais je le connais, je sais ce qui fait bouillir son cerveau, à l’instant même.

Je m’assois. Je ne chercherais pas à l’apprivoiser, pas ce soir, pas mon soir. Je le laisserais me présenter l’ardoise de ces années passées ensemble,  me chanter la même ritournelle sur nos années défuntes, et puis il partira.

Toujours souriant (oh comme ce sourire me glace..) il me tend une boite, assez curieuse. Sur le dessus,  un motif ancien, dans des tons bleus, comme ces azulejos que nous admirions dans les palais méditerranéens… J’ai presque peur de l’ouvrir, et j’hésite, la main tremblante.

Il me devance : «  elle est vide. Tu pourras y mettre le peu qu’il te reste de compassion pour moi, et jeter le tout à la mer si tu veux »

Soudain j’ai honte. J’aimerais qu’il comprenne.

« Je ne sais pas ce que j’ai pu imaginer, ou espérer, en venant te voir ».

Je perds toute contenance. En fait de combat à livrer, il n’y a que des morceaux à ramasser. Les restes d’un orgueil brisé. J’essaie de reprendre le dessus, de dire une phrase au moins intelligible. Au lieu de cela, je fais nerveusement bouffer les manches de ma robe.

Son regard se fait plus triste. Le sourire qu’il a aux lèvres n’est qu’un mensonge poli. J’ai cru qu’il comprendrait. Qu’il saurait que j’avais besoin de cet étalage. De raconter au monde, ce que nous avons été, de donner ma version des faits. Que personne ne demandait, mais qui me pesait, comme un cadavre indélicat.

La seule révélation de ce soir, outre un triomphe sur scène, c’est que cela ne me suffit pas. Que cela ne change rien à ce qui a été. Mais que cela vient remuer un souvenir chez lui, qui s’était pourtant décidé à hiberner.

Cela, je le sens comme une implacable vérité. Trop tard. Je m’approche d’un bouquet d’orchidées, envoyé par quelque admirateur je suppose. Et je peste tout haut. « A-t-on idée d’offrir une fleur tropicale à quelqu’un qui ne saura pas en prendre soin… Je ne sais prendre soin de rien. »

J’attends en vain le clap de fin d’un metteur en scène imaginaire, mais rien ne vient. Rien n’a disparu de cette scène pathétique. Le même homme au regard triste me contemple. Il prend la bouteille de champagne prévue pour fêter cette première réussie. J’entends le bouchon sauter, le liquide couler dans les coupes. Il s’approche de moi, et j’ai peur. Peur de ce qu’il pourrait me dire encore, de définitif. Il se penche vers moi, et murmure à mon oreille « tu te rappelles son premier jour d’école ? Son petit cartable, qu’il avait préparé avec soin ? Sa hâte de partir… Et toi. Toi et ta bouteille, avachie dans ton lit, comme une reine aux occupations trop importante pour veiller sur son fils…. »

Je me tenais à son bras, vacillante. Je connaissais la suite.  Les reproches. Ma défense. J’étais mal. Une autre femme. Pas la même. Pas la même…

Mais il continue, le même ton doux, accablé presque. « Je sais ce que tu vas dire, tu étais malade, malade de toi-même, de ton orgueil, de ton image. Assez malade pour rester en dehors de toute compréhension. Peut-être est-ce une bonne chose qu’il soit mort. Peut-être que le seul chromosome que tu as pu lui transmettre est celui de l’égoïsme. On ne saura jamais.  Mais je pensais que cela t’aurais guéri. Même après ce drame, ce qui t’importe le plus, c’est te défendre, raconter l’histoire à ta manière. Tu chercheras encore longtemps des excuses, inutilement.

Toujours aussi calme, il reposa son verre, avant de sortir.  Je n’ai pas bougé. Ce rideau là est tombé depuis longtemps.

 

me.png

Participation au jeu de Olivia. Mots à placer :création – orchidée – révélation – combat – cartable – bouffer – tropical – contemplation – passion – hiberner – boîte – ancien – apprivoiser – ritournelle – asphyxie – folie – ostentatoire – azulejo – chromosome – imaginer – ardoise – bouchon

 

19:32 Écrit par Océane dans Jeux d'écriture | Lien permanent | Commentaires (4) | |  Facebook |

Commentaires

Oh mais c'est terriblement triste, ton histoire, et terriblementt beau à la fois.

Écrit par : Olivia | 02/09/2011

Triste histoire mais très bien amenée !

Écrit par : Aymeline | 02/09/2011

hey mais je suis vraiment fatiguée en ce moment, je n'avais pas vu ta participation ! Heureusement que tu as mis un lien sur ton blog "principal" ! Il est très beau ce texte (plus enlevé encore que celui de la semaine dernière) et c'est vrai que nous avons tendance à "théâtraliser" nos histoires ou peut-être ce sont elles qui sont dignes d'une tragédie grecque ! J'aime beaucoup !

Écrit par : Asphodèle | 05/09/2011

la pièce sera un triomphe mais sur quels décombres!!! la mort rôde...

Écrit par : 32 Octobre | 06/09/2011

Les commentaires sont fermés.